1.3.1 - Choisir le matériel biologique
CONSEIL
C’est principalement la diversité spécifique et la diversité des habitats qui intéressent le gestionnaire d’espaces naturels.
CONSEIL
Le gestionnaire de réserve naturelle est de plus en plus souvent sollicité par le Ministère en charge de l’environnement pour suivre les espèces dites «remarquables» ou «patrimoniales» sans qu’il y ait d’ailleurs de consensus sur ces termes. Pourtant il ne faut pas négliger des espèces plus communes
qui peuvent être de bons indicateurs permettant de répondre à un objectif particulier. Le gestionnaire devra donc également s’interroger sur les processus à mettre en oeuvre pour avoir des informations sur les espèces non rares qui peuvent apporter de nombreuses informations.
Le programme STOC (Suivi Temporel des Oiseaux Communs) du CRBPO (Centre de Recherche sur la Biologie des Populations d’Oiseaux) permet de suivre des espèces d’oiseaux nicheurs communs pour connaître de grandes tendances d’évolution des populations.
CONSEIL
Pour définir des priorités en terme de groupes taxonomiques à inventorier, on choisira :
- un ou des groupes dont on a suffisamment de connaissance sur la systématique, la biologie,
l’écologie,
- un groupe ayant un lien avec l’habitat étudié,
- un groupe ayant une large diversité spécifique, etc.
CONSEIL
Les oiseaux sont généralement à un niveau élevé dans la chaîne alimentaire et sont ainsi sensibles aux changements de leur environnement. Ils semblent donc être des indicateurs valables de ces changements.
De par leur mode de vie et l’utilisation de microhabitats, les insectes sont pressentis comme d’excellents «bio-indicateurs». Mais le manque de connaissances actuelles sur leur biologie et le manque de recul pour interpréter leur dynamique de population ne nous permet pas, dans de nombreux cas, de les utiliser seuls comme indicateurs de gestion (NOBLECOURT, 1998).
C’est en fait le cas de la plupart des indicateurs biologiques.
D’après DOMMANGET (1989), il est difficile, voire illusoire d’utiliser les Odonates sur le plan spécifique («espèces indicatrices») ; par contre, la composition des populations (du point de vue qualitatif et quantitatif) d’un milieu aquatique reflète bien les caractéristiques générales du milieu (structure, microbiotopes, …), ainsi que la situation géographique.
Sources : DELANOË (1998) ; JOHNSON et al. (1993) à partir des travaux de ROSENBERG et WIENS (1976) ; GRILLAS (1996) à partir de HELLAWELL (1986) ; VALENTIN-SMITH et al. (1998).
1.3.1.1 Intégrer la notion de niveau de biodiversité |
Choisir le matériel biologique revient à identifier ce que l’on veut étudier. Il s’agit en fait de l’objet de l’étude.
1.3.1.1 Intégrer la notion de niveau de biodiversité
La plupart des auteurs distinguent trois niveaux de biodiversité : diversité génétique, diversité spécifique (diversité des espèces) et diversité écosystémique (HINTERMAN & WEBER, 1999). D’autres auteurs distinguent également un autre niveau : la diversité des paysages. Du fait de la complexité de la biodiversité, il est nécessaire de préciser à quel niveau de biodiversité on se situe car cela conditionne le choix de la méthode de collecte des données.
Ce choix est lui-même conditionné par les objectifs.
Le texte qui suit ne constitue pas réellement une aide au choix d’un niveau de biodiversité mais apporte quelques définitions qu’il est utile de rappeler ici. DELANOE (1998) a cherché à synthétiser, pour chaque niveau de biodiversité, les données requises et les méthodes d’évaluation (Tableaux n°2 à n°5).
Des études génétiques sont effectuées pour certaines espèces dans les réserves. C’est le cas de la plante Hibiscus à cinq fruits, Kosteletzkya pentacarpos, à la RN de l’Etang de Biguglia (Corse). |
Diversité génétique
La diversité génétique correspond à la diversité des gènes au sein des espèces. Elle représente la variation au sein d’une espèce ou entre les espèces d’une population. De nouvelles combinaisons génétiques se produisent à la suite de mutations affectant les gènes ou les chromosomes, combinaison qui peuvent se répandre rapidement au sein d’une population, en particulier via la reproduction sexuée.
Photo n°8 : Dans la réserve naturelle des Bouches de Bonifacio (Corse), le suivi de la population des mérous en lien avec l’impact de la fréquentation humaine montre un changement de comportement des mérous entre eux et avec les plongeurs sous-marins fréquentant le secteur alors que parallèlement la population est en hausse. © O.E.C.. |
La diversité génétique, située au niveau infraspécifique (phénologie, morphologie…), a une signification capitale pour le maintien de la biodiversité.
Elle peut s’éroder ou disparaître avant qu’une espèce ne s’éteigne complètement. La réduction du nombre d’individus d’une population entraîne inévitablement une réduction de la diversité génétique (ou de la variété des caractères) de cette espèce. Le seuil de disparition total varie selon les espèces, mais de toute manière, la diminution des individus de l’espèce fragilise les survivants qui n’ont pas forcément toute la gamme des gènes de l’espèce à disposition. Les études s’appliquent à une espèce en particulier, à une population ou à des métapopulations. Travailler à l’échelle de la diversité génétique aura des incidences sur les choix des méthodes et des partenaires. Pour étudier ce type de diversité, le gestionnaire devra la plupart du temps faire appel à des spécialistes, des laboratoires de recherche (étudiant en thèse…).
Diversité spécifique
La diversité spécifique est la diversité en espèces (richesse spécifique) présentes sur un territoire donné. Le niveau spécifique est généralement considéré comme le meilleur niveau pour apprécier la diversité qui se présente sous deux aspects :
- un aspect qui concerne le nombre d’espèces par unité de surface, c’est la richesse spécifique,
- un aspect qui se rapporte à la diversité «taxonomique» c’est-à-dire à la classification des espèces.
Tableau n°2 : Exemples de données requises et de méthodes d’évaluation pour étudier la diversité génétique | |
Données requises | Méthodes d’évaluation |
- Données biochimiques et moléculaires, dans le cas d’analyses génétiques. - Connaissance sur la biologie des espèces, notamment sur la biologie de la reproduction - Données simples sur la variabilité des individus (morphologie) issues d’observations sur le terrain. - Données issues de la surveillance des populations qui apportent des données importantes pour la caractérisation de la rareté et des degrés de menace. |
- Evaluation moléculaire. - Méthodes permettant de modéliser les concepts de populations viables et des métapopulations et de définir des seuils en dessous desquels l’extinction des espèces devient inéluctable. - Méthodes d’évaluation des populations (populations minimales viables et analyse de la viabilité des populations) qui nécessitent d’intégrer un grand nombre de facteurs et de développer des modèles de populations permettant de lier la variation des paramètres démographiques à la fréquence et l’amplitude de variations environnementales et génétiques. - Méthodes de marquage-recapture afin d’estimer la taille d’une population. Cette méthode nécessite beaucoup de travail de terrain, de logistique et d’analyse statistique. - Méthodes de radio-tracking utilisées pour suivre les mouvements de grandes espèces de mammifères ou de grands oiseaux. |
Source : DELANOE, 1998 |
Photo n°9 : De nombreuses espèces coexistent dans les habitats rocheux de la RN Iroise. © Ch. HILY. BRETAGNE VIVANTE/SEPNB |
La biodiversité est souvent assimilée à la diversité spécifique. Elle ne peut être décrite que si les changements sont étudiés sur trois niveaux :
- LA DIVERSITÉ ALPHA (diversité à l’intérieur d’un habitat), voir Photo n°9,
Elle correspond au nombre d’espèces coexistantes dans un habitat uniforme de taille fixe. On doit donc calculer séparément la diversité alpha pour un habitat forêt et un habitat marais, et tenir compte de la surface totale échantillonnée.
- LA DIVERSITÉ BÉTA (diversité à l’intérieur d’une mosaïque d’habitats),
Elle correspond au taux de remplacement des espèces dans une zone biogéographique donnée.
- LA DIVERSITÉ GAMMA (diversité dans une région biogéographique ou dans un pays). Elle correspond au taux d’addition d’espèces lorsque l’on échantillonne le même habitat à différents endroits. On doit donc la calculer séparément pour les marais et la forêt de chaque zone.
Les inventaires dans les espaces protégés visent la diversité alpha et béta.
La surveillance concerne l’ensemble des espèces présentes dans le site géré, ou plus souvent un groupe taxonomique, une partie de ces espèces. Le suivi cible généralement les espèces protégées, espèces rares, espèces bioindicatrices, etc.
Tableau n°3 : Exemples de données requises et de méthodes d’évaluation pour étudier la diversité spécifique | |
Données requises | Méthodes d’évaluation |
- Inventaires des espèces de la flore et de la faune. - Clés de détermination des espèces et fiches descriptives des espèces aidant à l’identification sur le terrain. - Données sur la répartition et la phénologie des espèces et des populations. - Atlas de répartition des espèces. - Données issues de la surveillance des espèces |
- Méthodes d’identification et d’évaluation de la dynamique d’espèces « clés de voûte ». - Méthodes de surveillance des espèces invasives allochtones. - Méthodes d’identification et de surveillance d’espèces indicatrices. - Méthodes d’identification et de surveillance d’espèces ciblées pour la conservation. - Inventaire et surveillance des espèces ressources pour l’homme. - Surveillance des espèces typiques ou représentatives ne faisant pas partie des catégories précédentes et pouvant contribuer au caractère typique d’un paysage étendu. - Méthodes d’inventaire de groupes taxonomiques. - Méthodes d’évaluation intensive (inventaires détaillés de la faune et de la flore sur certains sites). |
Source : DELANOE, 1998. |
Diversité des écosystèmes
Photo n°10 : La RN de la Truchère-Ratenelle a cette particularité d’abriter des habitats radicalement différents : une zone de dunes continentale, et sans transition à quelques mètres de ce milieu désertique, une tourbière boisée gorgée d’eau. Un étang vient compléter cette mosaïque naturelle. © C. NIEDERLENDER. |
C’est la diversité des unités écologiques constituées par des communautés d’organismes interagissant avec leur milieu physique (Photo n°10). Elle met en
relation la diversité génétique et spécifique, avec la diversité structurelle et fonctionnelle des écosystèmes tels que l’abondance des espèces, les structures en classes d’âges des populations et les processus biologiques, comme l’interdépendance des espèces dans la chaîne alimentaire.
L’évaluation quantitative de la diversité au niveau de l’écosystème, des habitats est difficile à appréhender. L’utilisation de ce niveau de biodiversité implique de sérieux problèmes d’ordre méthodologique, puisqu’il est extrêmement difficile de délimiter un habitat de telle manière que les résultats soient reproductibles et que la marge d'erreur de la méthode choisie soit suffisamment faible. Ceci du fait que la définition même d’un écosystème, un habitat ou une communauté est assez délicate dans la mesure où on doit tenir compte non seulement de la diversité génétique ou spécifique, mais également des variables abiotiques telles que le climat, le sol, etc. Il n’existe donc pas d’indice fiable de la diversité des écosystèmes, ce qui pose un problème fondamental lorsqu’il convient d’attribuer un rang à divers écosystèmes plus ou moins menacés. Il est en effet plus facile de travailler avec le niveau spécifique. Ce sera possible, cependant, si on travaille avec des échantillons de ces habitats (quadrats…) ou si certains sont regroupés dans des ensembles pertinents.
Tableau n°4 : Exemples de données requises et de méthodes d’évaluation pour étudier la diversité des habitats | |
Données requises | Méthodes d’évaluation |
- Inventaire et typologie des habitats. - Clés d’identification de certains habitats et fiches descriptives (cahiers d’habitats). - Correspondance entre espèces prioritaires pour la conservation et «habitats d’espèces». - Cartographie des habitats présents. - Données issues de la surveillance des habitats. |
- Méthode d’évaluation appliquée à la diversité d’un type de milieu. - Cartographie des habitats. - Utilisation d’indicateurs pour évaluer l’état de conservation d’un habitat et pour mettre en place un protocole de surveillance qui permet de mesurer l’évolution de l’état de conservation des habitats en utilisant toujours les mêmes indicateurs au cours du temps. Le suivi doit permettre d’évaluer à terme l’efficacité des mesures mises en place pour la conservation ou le rétablissement des habitats. |
Source : DELANOE, 1998. |
Tableau n°5 : Exemples de données requises et de méthodes d’évaluation pour étudier la diversité des paysages | |
Données requises | Méthodes d’évaluation |
Listes, inventaires et cartographies des grands types de milieux, des régions biogéographiques |
- Méthodes d’évaluation au niveau global et biogéographique. - Méthodes d’évaluation de grands types de milieu : observatoires des grands types de milieux. - Méthodes intégratives au niveau des espaces naturels : observatoire d’espaces naturels. - Utilisation d’outils comme la télédétection, la photo-interprétation et les SIG. |
Source : DELANOE, 1998. |
Diversité des paysages (au sens écologique)
Il est également possible de se situer au niveau des paysages. Un espace naturel est un milieu complexe renfermant une mosaïque de formes de paysages, d’écocomplexes, de types de végétation, et de types d’usages. Les paysages contiennent tous les niveaux de la hiérarchie biologique, depuis les écosystèmes jusqu’aux espèces et aux gènes qui sont ciblés par les inventaires.
1.3.1.2 Identifier l'objet de l'étude
Photo n°11 : La RN de Nohèdes comme de nombreuses réserves de montagne présente une diversité de paysages. © M. SABATIER. |
Cette étape consiste à identifier le ou les objets les plus pertinents, les composantes-clés qui découlent directement des objectifs de conservation (HELLAWELL, 1991), sur lesquels doivent être mesurés les paramètres (variables). L’objet de l’étude peut être une composante abiotique (climat, eau, sol…) ou se situer à un des niveaux de biodiversité cités plus haut. La gamme d’indicateurs pouvant être utilisés dans le cadre d’un programme de suivi est en effet très large (grande diversité d’indicateurs à des échelles variées), allant du niveau du paysage à celui de la molécule (GRILLAS, 1996).
Une donnée de la problématique...
Photo n°12 : Narcisse des Glénan. © R.P. BOLAN / SEPNB. |
Dans de nombreuses études, le matériel biologique est une donnée de la problématique. C’est le cas le plus courant et cela supprime toute notion de choix à ce sujet. Par exemple, si la problématique est de surveiller la population de Grand Tétras ou encore de Narcisse des Glénan (Photo n°12), le matériel biologique sera l’espèce elle-même.
...dépendant des objectifs...
Si le matériel biologique n’est pas une donnée de la problématique, le choix s’avère très dépendant des objectifs visés. D’après GRILLAS (1996), le choix des objets à mesurer est dépendant des objectifs de l’étude : portent-ils sur des valeurs quantitatives ou qualitatives ? Dans le cas de valeurs quantitatives, on s’intéresse principalement à des questions de disparition ou de modification de populations d’espèces (diversité spécifique) ou de surface d’habitats, quelles qu’en soient les origines. Il faut alors être en mesure d’expliquer ces disparitions ou modifications de population. Dans le cas de valeurs qualitatives on s’intéressera à des questions de comportements
d’individus.
...d’un intérêt patrimonial...
Dans de nombreux cas, les objets mesurés dans les espaces naturels sont les espèces patrimoniales et les habitats d’intérêt communautaire. Les textes et listes d’espèces et d’habitats inscrites aux conventions, lois et règlements associés aux espaces protégés orientent bien souvent les activités de surveillance qui y sont mises en oeuvre (DELANOË, 1998). Certains groupes d’espèces ou espèces peuvent nécessiter un suivi particulier s’ils relèvent d’une perspective européenne (FROM et al., 1997). Ces objets à étudier peuvent être identifiés, pour une réserve naturelle, lors de la rédaction du plan de gestion. Ils résultent alors de l’évaluation patrimoniale.
...ou des indicateurs...
Photo n°13 : Minioptère de Schreibers. © CPEPESC |
Lorsqu’il y a beaucoup d’espèces et que l’objectif est de préciser les informations apportées par une liste ou des données d’abondance des espèces rencontrées, on utilise quelques espèces cibles qualifiées d’indices biotiques ou biologiques (GRILLAS, 1996). Cela peut être la présence d’espèces rares, en danger, les communautés caractéristiques des différents milieux. Trois raisons peuvent inciter à suivre une espèce cible (KEDDY, 1991) :
- l’intérêt particulier de l’espèce pour sa rareté,
- l’aspect indésirable de l’espèce (espèce exogène),
- l’intérêt de l’espèce comme indicateur de conditions de milieu.
Dans la RN de la Dune Marchand, la restauration des bas-marais alcalins est suivie par le retour (qualitatif et quantitatif) des espèces caractéristiques de l’habitat. Il s’agit de Parnassia et Epipactis palustris, Sagina nodosa, Carex trinervis. Au niveau des habitats, l’indicateur se situe souvent au niveau d’une ou de plusieurs espèces. Dans le cas des roselières, l’objet mesuré pour qualifier leur état de santé est le roseau lui-même. De la même façon, le suivi des forêts alluviales dans les réserves naturelles s’attache à mesurer une série de paramètres sur chacun des arbres présents sur une placette échantillon.
Il est risqué de se limiter à une seule espèce en tant que choix d’indicateur.
Cela peut poser des problèmes :
- aucune information sur les causes de variations,
- difficulté d’interprétation (manque de références, causes multiples, mobilité…), etc.
...sans pour autant négliger les espèces communes...
L’utilisation d’espèces cibles «rares», en tant qu’indicateurs peut poser des problèmes : si une espèce devient rare, elle risque à plus ou moins long terme de ne plus être observée par un grand nombre de personnes. Faut-il alors choisir des indicateurs parmi les espèces communes ? Leur dynamique, cependant, est souvent plus lente.
Il faudra veiller à ce que le suivi porte également sur des espèces plus communes, notamment pour dégager des tendances nationales d’évolution des effectifs des populations. Il existe en France, pour les oiseaux nicheurs, un programme de suivi temporel des oiseaux communs (voir page 35) auquel participent plusieurs réserves naturelles.
Quelques espèces cibles suivies dans les réserves naturelles : - le Fou de Bassan - le Grand Tétras - le Minioptère de Schreibers - le Phoque veau-marin - le Narcisse des Glénan, etc. |
...pour choisir l’indicateur le plus pertinent.
Par sa présence, chaque espèce ou groupe d’espèces apporte des informations sur la situation écologique d’une zone donnée et peut apporter des éléments sur le niveau de stress auquel est soumis l’écosystème. Il se peut que plusieurs composantes indicatrices puissent être suivies pour répondre à un même objectif.
Le gestionnaire devra évaluer le choix de possibilités offertes comparé aux caractéristiques désirées. Le choix du matériel biologique revient en fait à choisir l’indicateur le plus pertinent par rapport à ce que l’on veut mesurer, c’est-à-dire celui qui est susceptible d’apporter un maximum de données pour répondre à l’objectif, tout en restant réalisable quant aux moyens dont dispose le gestionnaire. Si l’indicateur est au niveau spécifique, les différentes espèces choisies doivent être caractéristiques d’un certain type de milieu et sensibles à l’évolution de ce dernier.
Certains indicateurs ou espèces cibles sont déjà utilisés dans les espaces naturels. Le gestionnaire pourra donc choisir parmi les composantes sur lesquelles des études sont susceptibles d’être menées dans d’autres sites naturels (espèces ou habitats rares et menacés suivis à une échelle nationale par exemple) ou sur lesquels des données sont disponibles à une échelle plus large que celle de l’étude.
Dans le cadre de l’étude expérimentale visant à caractériser les facteurs limitant les amphibiens dans la RN de la Truchère-Ratenelle (voir exemple page 18), le choix s’est porté sur une espèce commune qui se reproduit précocément, présente en abondance dans la réserve. Les Tricoptères ou les Coléoptères sont de meilleurs indicateurs que les Odonates pour le suivi de la qualité des milieux humides, mais leur suivi n’est pas réalisable par les gestionnaires d’espaces protégés |
Lorsque le suivi porte sur l’impact des opérations de gestion, les indicateurs doivent se rapporter le plus étroitement possible aux changements physiques ou biologiques dus à la gestion et concerner les différents compartiments de l’écosystème aux divers niveaux d’organisation. La mesure doit donc être réalisée à partir d’indicateurs provenant de diverses disciplines (faune, flore, paramètres abiotiques…), une mesure de gestion pouvant être favorable à un groupe d’espèces et défavorable à un autre.
L’indicateur ne se situe pas forcément au niveau spécifique, mais au niveau de l’ensemble de la population d’espèces (niveau supraspécifique). Les indicateurs identifiés à un niveau relativement élevé d’organisation (population, communauté, écosystème) ne permettent pas de donner une alerte rapide mais traduisent une évaluation globale du stress ou de la dynamique auquel est soumis l’écosystème (GRILLAS, 1996). C’est pourquoi le gestionnaire utilise la plupart du temps des «groupes d’espèces» végétales ou animales comme bioindicateurs de la qualité d’un site (par exemple les Lépidoptères Rhopalocères pour le suivi des milieux ouverts dans les réserves naturelles). Ils peuvent être composés d’espèces appartenant à plusieurs familles ou ordres mais ayant des caractéristiques communes (cas des macrophytes par exemple) ou ce sont des espèces appartenant à une même famille ou ordre : les Chiroptères, les Rapaces ou les Orthoptères (voir Tableau n°6 page 24)… Par ailleurs, le groupe taxonomique retenu doit être bien connu sur le plan systématique, bioécologique et en termes de répartition (DOMMANGET, 2000).
Un indicateur idéal ?
Pour obtenir davantage d’informations relatives aux indicateurs, le gestionnaire pourra se référer à la bibliographie sur le sujet, dont l’article rédigé par GRILLAS (1996) dans le document « Suivi des zones humides méditerranéennes » (TOMAS VIVES, 1996). |
Les caractéristiques énoncées dans l’encadré ci-dessous sont les caractéristiques nécessaires que doit posséder un taxon pour être considéré comme un indicateur «idéal». Elles imposent évidemment en préalable que le taxon soit effectivement «sensible», c’est-à-dire qu’il ait des exigences précises et connues relatives à son environnement et des sensibilités avérées vis-à-vis des éventuelles perturbations qu’il pourrait subir.
Tableau n°6 :Taxons indicateurs (orthoptères) de l’état de santé des milieux humides (RN Grand’Pierre et Vitain) | |||
Chorthippetum | Conocephaletum dorsalis | ||
Prairie humide, pacagée ou fauchée (hauteur ≤ 50 cm) |
Friche marécageuse haute, sous-pacagée (hauteur : 50 à 110 cm) |
Végétation dense et très haute (phragmitaie, etc.) | Ripisylve |
Chorthippus albomarginatus Chorthippus p. parallelus Chorthippus b. biguttulus Chorthippus d. dorsatus Gryllus campestris Mantis |
|||
Mantis religiosa Metrioptera roeselii Chrysochraon d. dispar |
|||
Conocephalus fuscus | |||
Pholidoptera griseoaptera Tettigonia viridissima |
|||
Conocephalus dorsalis Phaneroptera falcata |
Attributs souhaitables pour les bio-indicateurs : - biologiquement pertinents : en reflétant des changements de la biodiversité pour des habitats ou des communautés devant être évalués ; - prévisibles : leur réponse aux changements devrait refléter des tendances; - faciles à échantillonner : c’est-à-dire sans qu’il y ait besoin de plusieurs opérateurs ni de matériel coûteux, et quantitatifs ; - faciles à identifier (taxonomie non contestée et détermination aisée) et à - associés à d’abondantes données sur écologie des espèces ; - suffisamment sensibles pour fournir une information anticipée de changement ; ils accumulent facilement les polluants ; leur cycle de vie est - répartis sur une grande zone géographique (large distribution), donc largement applicable ; ils ont une aire de répartition cosmopolite ; - cependant un taxon rare ou endémique peut être le meilleur indicateur de la restauration positive de son habitat ;
- présentent une faible variabilité, à la fois en termes de génétique et de rôle (niche) qu’ils occupent dans la communauté biologique afin d’avoir la même réponse sur leur aire de répartition face à des facteurs similaires ; - abondants numériquement et de grande taille (tri) ; - peuvent être accessoirement cultivés ou élevés en laboratoire. Ils sont utilisables en expérimentation ; - peuvent revêtir une importance économique en tant que ressource ou |
1.3.1.3 Identifier les facteurs déterminants
Photo n°14 : Suivi de la qualité de l’eau à la RN de l’Estagnol. © PM. ROUX. |
Certains facteurs déterminent la présence d’une espèce ou d’un habitat sur un site, car il existe des interactions entre toutes les espèces d’un même site,
qu’elles soient rares ou communes, en lien avec les conditions du milieu (sol, niveau ou qualité de l’eau, etc.). Parmi ces éléments dits déterminants, le gestionnaire devra identifier ceux sur lesquels des mesures doivent être effectuées (voir chapitre 1.3.5. «Choisir les variables à mesurer») et sera amené à s’interroger sur ce qui permet de décrire leurs fluctuations.
Les éléments déterminants peuvent être définis pour chaque niveau des objectifs :
- Paysage : hétérogénéité de l’écocomplexe.
- Ecosystème : paramètres du milieu, ou habitats. Pour les habitats, le facteur déterminant leur état de conservation peut être la présence de certaines espèces s’y reproduisant, comme par exemple le Grand Tétras dans les forêts vosgiennes. On peut alors considérer que si l’espèce se maintient dans des conditions acceptables, alors l’habitat fonctionne bien.
- Espèces : il s’agit des facteurs qui conditionnent leur développement. Par exemple le facteur déterminant la présence de la plupart des espèces floristiques des zones humides est souvent le niveau d’eau ou sa qualité (Photo n°14). Pour des espèces faunistiques cela peut être la présence de tel ou tel habitat ou sa structure (voir Figure n°10). Par exemple, l’élément qui détermine la présence du Lézard ocellé est le degré d’ouverture des milieux. Dans ce cas, on peut suivre l’espèce en mesurant simplement ce degré d’ouverture (par suivi aérien par exemple). Ils peuvent parfois être liés à l’historique du site (pratique culturale…).
Exemples de facteurs déterminants : - la qualité de l’eau et le maintien d’une dynamique fluviale pour les populations d’Apron du Rhône dans les réserves fluviales, la tranquilité pour la reproduction du Grand Tétras dans les réserves vosgiennes |
Ces facteurs ou éléments déterminants sont tout aussi importants à suivre qu’une espèce ou un habitat et seront nécessaires à l’interprétation des résultats. Sans leur prise en compte, il sera difficile d’interpréter correctement les données recueillies sur le terrain, d’en mesurer les évolutions et d’évaluer si les changements observés (augmentation ou régression d’une population par exemple) sont liés à la gestion ou s’ils sont liés à des facteurs extérieurs (pollution ou conditions climatiques par exemple).
Figure n°10 : Importance des différentes variables du milieu pour les différentes espèces de Turdinae et de Columbidae. Source : HERMANT et FROCHOT, 1997. |
Il s’agit donc d’un complément au suivi des espèces ou des habitats. Une baisse d’un niveau d’eau ou une pollution accidentelle peut par exemple expliquer la chute des effectifs d’une espèce végétale ou animale. Si le gestionnaire ne fait que suivre la répartition spatiale de l’espèce en question, il ne sera pas en mesure d’interpréter les données recueillies, et il ne pourra pas le faire a posteriori !
Les caractéristiques physiques du milieu
Certaines sont déterminantes car elles conditionnent la présence de certaines espèces ou d’un habitat à un endroit donné. L’enregistrement de ces données complémentaires permet d’enregistrer à long terme des facteurs de l’environnement influant sur le patrimoine (climatologie, niveau ou qualité de l’eau, lumière, salinité, nature du sol, pH de l’eau etc.) et la réponse du milieu à des facteurs liés à la gestion (durée d’inondation pour un niveau d’eau maximal fixé, composition floristique pour une date de fauche, etc.).
Les caractéristiques physiques permettent d’expliquer beaucoup de choses. Le gestionnaire devra lister ceux qui sont essentiels pour l’objet de l’étude. A titre d’exemple, la RNR de la Tourbière de Vred (Nord) bénéficie d’un suivi météorologique très fin, et d’un suivi des niveaux d’eau (suivi piézométrique). Ces suivis permettent de mettre en évidence la corrélation entre les micro-variations climatiques et la présence de l’avifaune (activité).
Tableau n°7 : Les paramètres du milieu relevés par chaque placette durant le suivi des hydrophytes dans la RNR de l’étang St Louis |
|
Paramètres | Notation |
Indice de recouvrement | % |
Profondeur moyenne | cm |
Profondeur maximale cm | cm |
Pourcentage d'eau libre de végétation | % |
Largeur du cours d'eau | m |
Hauteur des berges | m |
Densité de la ripisylve | 0 = absente 1 = clairsemée 2 = dense 3 = très dense |
Vitesse d'écoulement | 0 = nulle 1 = faible |
Transparence de l'eau | 0 = transparente 1 = trouble 2 = opaque |
Nature du substrat | Sa = sable V = vase MO = matière organique peu décomposée |
L’inter-dépendance des espèces
Il faudra tenir compte des intéractions qui peuvent exister entre espèces : présence d’une plante particulière pour les espèces phytophages par exemple. La reproduction de chaque papillon du genre Maculinea dépend étroitement de la présence d’une fourmi et d’une plante hôte. Le suivi mis en place dans la RN des Marais de Lavours ne repose donc pas uniquement sur le suivi du Maculinea mais également sur le suivi de la population de cette plante et de la présence des fourmis. Cela peut être aussi la relation entre un prédateur et sa proie. Par exemple, dans la RN de la Baie de Somme, l’abondance de coques a une influence sur les effectifs des populations de l’Huîtrier pie (voir Figure n°11).
Figure n°11 : Relation entre la densité d’Huîtriers-pies et la surface des gisements de coques dans la Réserve Naturelle de la Baie de Somme. Source : Alauda 67(2), 1999. |